Notre civilisation c’est édifiée sur une succession de révolutions: cognitive, de sédentarisation, industrielle puis numérique. Le développement de cette dernière se lova, conjointement, à celui de notre génération. Nous qui, la dizaine d’années fraîchement passée, codions nos premières lignes de Pascal sur nos Amstrad1512, qui fûmes témoins direct de la loi de Moore par la croissance, exponentielle, de la capacité des processeurs que nous usions, 486DX, P100, 133, PII, PIII, ainsi que tout ceux qui suivirent, et, plus que tout, qui vîmes se déployer sous nos pieds un nouveau continent étendu à l’infini, vierge de toute emprise et de toute hypoxie, nous entrevoyions, par sa colossale force de frappe computationnelle et connective, la profonde évolution que le réseau des réseaux allait enfanter, et ainsi remodeler l’existant comme jamais.
Luttes
Dans un ultime réflexe de survie, l’ancien monde en décomposition devant nous se dressa, et lâcha sa horde affamée sur notre utopie fraîchement bâtie. Omniprésent en tout lieu médiatique, vociférant à l’envie les pires sophismes comme vérité irréfutable, ces êtres évidés aimaient comparer notre espace de liberté, d’échange inconditionnel et d’humanité à un infâme far-west, où les pires perversions seraient norme, où l’immondice serait promu et, où chaque millimètre de cet éther serait l’expression de tous les dangers. Inévitablement, une lutte s’amorça. Ils tentèrent de contrôler la connexion de tous, afin de contrer le flux de contenus copyrightés qui, sur la toile, non pas se raréfiaient mais se décuplaient invariablement, plutôt que d’oeuvrer à une licence globale prise en charge par l’Etat permettant un levier culturel français sans précédent. Sous couvert de vouloir combattre la pédocriminalité et le terrorisme, ils cherchèrent à établir une surveillance de masse plutôt que de renforcer les cellules gouvernementales qui, par un suivi ciblé, bataillent quotidiennement à ce noble sacerdoce. Non, les priorités de ce monde dépassé ne furent jamais d’accompagner l’élaboration de cet endroit intrinsèquement démocratique et horizontal, mais bien de l’annihiler.
Dépossession
Avec le temps, la toile se densifia, se structura et constamment se développa. De nouveaux usages, d’inattendues tendances et de fraîches optimisations aménagèrent le virtuel. Nos années de lycées furent l’incarnation de Hackers et Seconde B mêlées. Le soir venu, notre salon IRC restait une extension de nos espaces conversationnels, de notre brasserie habituelle, du self de notre bahut ou de la cour de récréation. Chacun de nous hébergeait son serveur FTP, permettant de glaner ou de céder, chez les uns et les autres, quelques pépites nouvelles ou d’originaux agencements. L’étayage d’un tel lacis numérique s’opéra par un savoir technique que, progressivement, nous amassions de façon autodidacte, par nécessité, sans aucune prétention.
Peu à peu, la société entière se saisit de cette révolution, et initia à une refonte complète, se délestant de la technophilie pour un frontispice, un visuel indéniablement plus accessible pour tout profane, par la floraison massive de blogs, de podcasts, forums et autres. Par ses pionniers, plusieurs lignes semblaient se dégager. A travers les événements, conférences et interviews, ces figures tel que Loic Lemeur, Richard Stallman, Benjamin Bayart ou Tristan Nitot exposaient leurs visions, des plus libérales aux plus collectivistes. Pourtant, d’autres courants de fond semblaient déjà être actés.
Parallèlement où une fièvre enflamma les esprits: La “révolution Start-up”, qui promptement s’effondra sous son propre poids et sa substantielle démesure, nous vîmes la pluralité se faire entièrement absorber par un colossal monopole. L’exemple le plus flagrant étant nos habituels moteurs de recherche, tel que Lycos, Altavista et d’autres, broyés à jamais par un Google devenu Gold Standard en son domaine.
Putréfaction
Ils ne sont, encore aujourd’hui, qu’une poignée de multinationales à se partager le Web. Tout autres espaces aux alentours furent dépeuplés, asséchés, puis phagocytés. La navigation en cette immensité réduite, tristement, à l’unique port quatre-vingt et quelques plateformes limitantes.
Nous vîmes leur attraction aspirer la masse, par la facilité et l’illusion. Ils devinrent d’incontournables extensions à notre réel. Facebook, Twitter, Youtube, depuis, devenus une de nos reliances humaines, notre agora et notre corps social.
Puis, subitement, ce reflet de notre réalité vit émerger ses monstres. Une ruée abominable de Trolls, Bots, vils officines et sombres groupuscules enflait en nos espaces, de façon démultipliée, jusqu’à sa saturation. Avec eux, la pourriture prit pied, la haine, la moquerie, le jugement et l’inhumanité infectèrent, sans aucune retenu, tout échanges, toutes bienveillances, toutes bienséances, toutes beautés et tout espoirs tissés.
A ces omniprésentes vasières, s’y greffa le délire de l’égo. Porté au nu par d’immodestes influenceurs.ses, un culte de l’apparat emplie de fausseté et de vide qui inonda les esprits, nos références puis, la société. La perception d’un réel lissé, estropié de tout relief, par l’ajustement de filtres successifs, où même les concepts, les termes et les idées furent travesties.
Initialement, était désigné.e de Geek chaque marginalisé.e cumulant une obsession dévorante pour la technologie, l’informatique et l’électronique, une vie sociale de no-life coupée de tout public, ainsi qu’une soif insatiable à comprendre, désassembler, réagencer, détourner, hacker, disséquer et réinventer non-stop le software, le hardware ou tout sujet observé. Amputé de ce sacerdoce et cette expertise, depuis ce qualificatif s’est vu enorgueilli à la merci de tristes personnages étrangers à quelconque code ou fer à souder, dont l’unique talent réside en l’accumulation immodérée et astronomique de figurines ou tout autres gadgets laissés sous emballage, et fièrement étalés.
Une à une, nous avons sentis les richesses s’échapper: La diversité, la créativité et la liberté se sont vu avaler, uniformiser, néo-capitaliser et, plus que tout, centraliser. La seule raison de ces quelques lignes, que je vous devais, mes ami.e.s, était de vous livrer mes convictions sur la nature de ces lieux asphyxiés.
Souveraineté numérique
A cette longue nécessaire mise en abîme se succèdent d’évidentes considérations.
Comment, alors que tous avions déployé nos parcelles personnelles (sites, blogs, podcasts, etc.) chez des hébergeurs que nous connaissions ou auto-hébergé, que nous avions appris à bâtir et mettre en forme nos univers de A à Z, oui, comment en est-on arrivé à délaisser ce contrôle et cette précieuse indépendance pour quelques plateformes privées aux valeurs éthiques, que nous savons, relatives ?
La facilité, surement. Une bascule qui permit aux GAFAM de rafler, en leurs filets, l’Humanité. Or, cette simplification n’était pas du clef-en-main, mais du pré-mâché. Car, il n’est question, finalement, que de renseigner quelques champs par nos contenus personnels en des cadres pré-établis, limités par ces structures et leurs intérêts.
Mais de cette accessibilité et une fausse gratuité jaillit le danger que personne n’accepte de voir: l’infini pouvoir cédé. Le poids de ces réseaux sociaux, plateformes de vente en ligne et autres systèmes est tel qu’il ne fait pas d’eux de simples carrefours, mais d’irrépressibles points névralgiques, des centres si magnétiques qu’ils en courbèrent la toile jusqu’à sa minitelisation. Leurs fleuves et leurs montagnes de DATAs emmagasinées sont vertigineux.
“M’en fout, moi j’ai rien à cacher” me répondrez-vous. Bien, mais en êtes-vous si sûr ? Faisant volontairement fi de la notion d’intimité, nous pouvons toutefois entrevoir un potentiel risque totalitaire. Imaginez, sans même parler de dictature, que nos gouvernants, pour quelconques raisons, opèrent un glissement politique faisant passer le principe de sécurité au-dessus de nos libertés. Dès lors, pensez aux outils de surveillance possiblement mis en place, géolocalisation, reconnaissance faciale qui pourrait se coupler aux comptes Facebook, Twitter, Instagram ou Youtube de la population, devenant bien pire qu’une dystopie, un enfer. Afin de jauger le pouls de ce genre d’éventualité, les combats de la Quadrature du Net sont une référence.
Mes espoirs, mes cher.e.s ami.e.s, vous les connaissez déjà, je ne vous les ai que trop exagérément radotés. Nos réseaux sociaux, ainsi que tout autres outils de communication, devraient inconditionnellement être ouverts et décentralisés. Chaque groupe, communauté et individu devrait pouvoir déployer sa propre instance. Comprenez, la contagion actuelle de censure politique ou personnel de ces canaux est intrinsèque à l’architecture de ces mastodontes.
Idem pour ce qui est de nos échanges privés, nous devrions systématiquement les crypter.
A vous donc, mes ami.e.s utilisant tout comme moi Facebook, Twitter & Co., cet article n’est voué qu’à vous armer d’un cheminement et d’une conviction. Car la période actuelle laisse entrevoir certaines évolutions. Déjà, une forme de contournement. Sur Discord, l’on vit fleurir un nombre croissant de serveurs aux thèmes étrangers (Politique, développement personnel, etc.) à sa vocation initiale, le gaming. Ensuite, les prises de conscience. Par réactions aux changements de politiques radicales de ces quelques groupes, nous fumes témoins de la masse d’utilisateurs migrants vers des solutions plus “démocratiques”. La polémique WhatApp qui fit migrer beaucoup d'utilisateurs se sentant trahis vers Signal ou Telegram. Ou, le récent rachat de Twitter qui fit opérer une colossale migration d’un pan complet de ses utilisateurs vers Mastodon.
Toutefois, entendons-nous bien, nulle question ici de confondre le secteur privé, ses innovations et les solutions structurelles qu’il puisse livrer, mais bien de s’opposer à toutes dérives et toutes toute-puissances. Devenant empires, sans éthique ni humanité, ces léviathans devraient naturellement être retrocédés au collectif.
Google Wave fut, à mes yeux, un excellent exemple d’initiative incarnant un sain équilibre entre structure privé et pouvoir personnel de ses utilisateurs. Car, en plus d’avoir été un très bon réseau social, son code source laissé libre permettait à quiconque de pouvoir installer son instance personnelle.
Alors, mes cher.e.s ami.e.s, je terminerais ce post sur une espérance. Tandis que, par ses agglomérats d’oligopoles en roue libre, le web commence à montrer ses limites et sa fin, une nouvelle bouffée d’oxygéne commence à s’imposer. Cette prochaine évolution, inespérée et inévitable, refondra l’existant sans précédent. Comme un serpent faisant peau neuve, le Web 3.0 sera fondamentalement décentralisé, crypté et horizontal. Reposant sur les principes de blockchains, il permettra par ses fondations de laisser place à l’échange et le partage beaucoup plus librement. Rajoutez-lui les couches de crypto-monnaies, d’intelligence artificielle et vous aurez l’écosystème possible de ce 21éme siécle. La question restante est, que ferons-nous de ce inestimable dessein ? Et, surtout, avec cette précieuse opportunité, est-on encore capable de garder notre pouvoir personnel sans l’abandonner à des entités assoiffés de données personnelles?
“Internet perdait peu à peu son statut de fenêtre sur le monde pour devenir un outils de contrôle.
Une nouvelle économie naissait. Nous en serions la matière première.
Le nouveau monde bousculait tout: nos échanges, nos droits, notre vie privée.
Préserver sa vie privée à l’ère de l’exposition de soi est un acte révolutionnaire…”
Satoshi - Inventeur du Bitcoin
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